22.6.14

Société et Architecture: Alt Berliner
















Après quelques fausses alertes, Le bar Alt-Berlin (le Vieux Berlin- Münzstrasse, Mitte) a mis la clef sous la porte. Bar du coin, de quartier, il était le dernière du genre à Mitte, où toute trace de vie de quartier éradiqué par voie de rénovation, doit céder le haut du pavé aux boutiquiers.




L'histoire commence en 1893 dans le Scheunenviertel, quartier populaire et mal famé, qui le restera jusqu'à la fin de la guerre, une sorte de Pigalle berlinois. Il est tenu par trois "dames", qui après une carrière plutôt pédestre, semblent s'être mises dans leurs meubles. A l'époque de la république de Weimar, les affaires fleurissantes du milieu bénéficient à nos trois dames, qui s'agrandissent. On y boit et on y mange même sur des nappes. Le monde du théâtre, principalement de la Volksbuhne y côtoie celui de la pègre, des michetons, des caves, des jobards et des belles de jour comme de nuit. Un soir de 1945, une bombe ventile une partie de la rue, obligeant la fermeture.



1948, Mitte est occupé par les Russes. Un ancien habitué, un lascars, "Muller le vélo", ainsi prénommé car il avait avant guerre gagné plusieurs fois les six jours de Berlin, obtient l'autorisation des autorités russe de ré ouvrir l'estaminet. Sa brillante carrière, car il est non seulement le premier à détenir une licence de bar, mais aussi à rouler en décapotable dans les décombres de la ville, sera de courte durée. 1949 - l'année de sa consécration - lui vaudra le titre de premier condamné à mort de la jeune République Démocratique Allemande, pour braquage à main armée et autres hauts faits d'armes.

S'en suit une période trouble, de reprise et faillite, qui aboutissent à l'annexion du lieu par la chambre de commerce du peuple, la HO.
Rentre alors en scène les fameux Heinz et Inga, rendu célèbre par le slogan "Das Schönste aller Dinge, ein schneller Schluck bei Heinz und Inge" "Le meilleur du monde, un p’tit coup chez Heinz et Inge", qui restera dans la vitrine jusqu'au mois dernier.
Heinz et Inga, deux fortes personnalités qui de collègue deviendront époux et enfin patrons du bar acheté en 1982 à la HO. Le quartier a changé, les marlous ont laissé la place à une nouvelle bohème intellectuelle, que le charisme des nouveaux patrons fidélise. On dit même que Brecht en qualité d'habitué y avait un tabouret réservé. Seul bar ouvert jusqu'à deux heures, on s'y retrouve après les représentations de la Volksbuhne, du Berliner Ensemble, du Gorki ou Friedrichstadtpalast.

Après la chute du mur, Heinz et Inga passe la main et leurs repreneurs perpétuent la tradition. Dans un décor inchangé, un mélange de noctambules créatifs ou non se retrouvent à la bonne franquette, dans la fumée, les discussions, les engueulades et les rires. A l'annonce du rachat de l'immeuble par un architecte, homme d'affaire dont le seul intérêt est la capitalisation, l'opinion publique se mobilise. Mais les investisseurs dont la spéculation est le seul intérêt, ne sont là ni pour faire du sentiment, ni pour la protection des biens culturels. A force de médiatisation indigné, notre entrepreneur de Hambourg fini par promettre, non pas de réintégrer le Alt Berlin après rénovation, mais de le déplacer de quelques numéro dans la rue - qu'il possède en partie - et de le reconstruire intérieurement à l'identique...

...S’il avait été allemand l’Abbé Grégoire se retournerait dans sa tombe. Il y a dans cette ville une approche particulière des questions de patrimoine architectural… Une sorte syndrome berlinois. Ici on reconstitue plus qu’on ne restaure et ce souvent d'une façon des plus fantaisiste, un peu carton pâte. Fin 19è, le publique allemand était très friands des Panoptikums, sorte de cabinet de cire ou les personnages étaient mis en scène dans des décors spectaculaires. Von Bode directeur du musée, qui aujourd'hui porte son nom, prônait à cette même époque une muséologie de mise en scène contextuelle... Le gout du décor au 19è n'est pas uniquement allemand ou berlinois, mais il semble ici avoir eu un impact déterminant et susciter encore certaines inclinations. En architecture on pratique donc, le collage et la coulisse, c'est à dire le décor, - pas à prendre au sens stylistique mais scénographique du terme -, à visé soit historique, soit politique.

Il y a bien sur, le très politique, absurde et controversé, projet de reconstruction du château royal puis impérial. Un geste, qui montre la volonté de restaurer un passé glorieusement classique, pour tenter de faire une double croix sur les épisodes nazi et communiste. Faire faire des boucles à l'histoire pour éviter ses méandres... Mais le phénomène n'est pas uniquement contemporain.

Les communistes, eux non plus ne furent pas en reste, s'étant débarrassé des ruines du dit château bombardé, ils en avait quand même conservé le balcon où Karl Liebknecht, 2 heures trop tard sur son collège socialiste Philipp Scheidemann, avait proclamé la république.
En 1962, l'état Est Allemand se dote d'un nouveau parlement et y incruste la reconstitution de la fameuse façade et de son célèbre balcon, tentative de légitimation historiquement de la république démocratique.
En 1987, Berlin Est s'apprête à fêter les 750 ans de la ville. Les années 70 et 80 ont vue émerger les Platenbaus, immeubles préfabriqués spécifiquement est allemand. L'homme moderne qu'incarne le communiste doit construire pour le futur. Pour se faire il dynamite à tout vas, Immeubles et quartiers anciens, qui disparaissent pour laisser la place aux cellules d'habitations normalisés et modernisés digne des camarades-locataires qui viendront les occuper. Au plus profond de cette tourmente cathartique des esprits éveillés émettent l'idée, que pour fêter l'historicité de la ville, il serait de bon ton d'en conserver quelques vestiges. Qu'a cela ne tienne des quelques baraques baroques encore épargnées, on va garder ici un balcon, là les fenêtres, rajouter deux trois sculptures et... réinventer le baroques à Märkisches Ufer ou Nicolas Viertel....

…Il est peu de ville ou l'architecture et l'urbanisme soit si politiquement incarné. En terme de patrimoine architectural la valeur politique prime sur la valeur historique. De là vient en partie sans doute, la sensation que cette ville est un organe vivant…



Dames de la Münzstrasse 20'
Münzstrasse 1920
Alt berlin
Alt berlin 
Castan Panoptikum Friedrichstraße
Préfiguration du château et préparation de l'opinion public

Château avant 
Château après
Château dynamitage 1950
Château projet final de reconstruction
Autre projet de reconstruction, l'école d'architecture construite par Schinkel
Préfiguration et préparation de l'opinion public
2è étape campagne publicitaire pour prélèvement de fonds
l'école d'architecture 1945
Staatsratsgebäude (Immeuble d'état) 1962-64
Portal IV (1706)
Berlin 750 ans 
Berlin 750 ans
Märkisches Ufer avant
Märkisches Ufer 1987

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